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Entretien avec Joël Balandraud, Président de la Communauté de Communes des Coëvrons et secrétaire général adjoint de l’AMF : « Nous craignons un rétrécissement de l’investissement local »

Présenté au conseil des ministres du 27 septembre, le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 commence son marathon parlementaire. Malgré quelques satisfactions, l’AMF reproche l’absence d’indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation. La hausse de 220 millions d'euros est jugée loin d’être suffisante. Secrétaire général adjoint de l’AMF, maire d’Evron (8800 habitants, Mayenne) et président de la communauté de communes des Coëvrons, Joël Balandraud réagit aux principales mesures du PLF pour le bloc communal et ne cache pas son inquiétude sur l’investissement, tout en saluant quelques mesures. Le président de l’association des maires de la Mayenne pointe également des sollicitations des EPCI de plus en plus fréquentes, et cela bien souvent hors champ de leurs compétences.

Comment jugez-vous la santé financière actuelle des collectivités et, en particulier, du bloc communal ?

Les collectivités locales prennent l’inflation de plein fouet. De plus, malgré le bouclier énergétique, il y a des augmentations qui grimpent parfois jusqu’à 100% des coûts de fonctionnement énergétiques. Avec l’inflation, les autres coûts augmentent en moyenne de 10%. Les collectivités ont ainsi un panier moyen qui évolue plus vite que celui des Français. Cette situation suscite une vraie inquiétude des élus. A cela s’ajoutent les augmentations deux années de suite du point d’indice pour la rémunération de nos agents – légitimes sur le fond – pour lesquelles nous avons été mis au courant au dernier moment. Tout cela engendre une hausse de nos coûts de fonctionnement et met à mal le soutien à l’investissement.

Les intercommunalités sont-elles concernées ?

Ces coûts ne cessent de progresser pour elles compte tenu des sollicitations permanentes de la part des services de l’Etat. De plus, des compétences comme la Gemapi [gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations] ou en matière d’urbanisme ne bénéficient d’aucune compensation. Chaque fois que l’Etat lance un nouveau plan, notamment PVD [Petites villes de demain] que nous apprécions, il finance l’ingénierie mais sollicite beaucoup les EPCI pour aider les communes sur des opérations comme les ORT [opérations de revitalisation de territoire] ou les OPAH [opérations programmées d'amélioration de l'habitat].

Il y a une hyper sollicitation des intercommunalités sur tous les sujets, et cela de plus en plus hors de leur champ de compétences. Avec le danger croissant de cofinancement des politiques mises en place par l’Etat avec donc pour conséquence une réduction de nos marges de manœuvre financières. Nos dépenses de fonctionnement, qui sont pour nous le nerf de la guerre, ne cessent de croître.

Le projet de loi de finances prévoit une hausse de la DGF. Est-elle suffisante ?

Même avec une augmentation de 220 millions d’euros pour la DGF, nous n’y sommes pas sachant qu’avec l’inflation nous perdons en réalité 700 millions ! Les hausses de la DSU [dotation de solidarité urbaine] et de la DSR [dotation de solidarité rurale] ne sont pas à la hauteur. Avec le projet de loi de finances, les dotations des collectivités vont donc continuer de baisser en euros constants. Nous regrettons d’avoir reçu une fin de non-recevoir du gouvernement à nos demandes.

Les augmentations du soutien à l’investissement local constituent-elles une bonne nouvelle ?

Oui et cela satisfait l’AMF. Les dépenses d’investissement local seront fortement aidées avec l’élargissement du FCTVA [Fonds de compensation de la TVA] aux dépenses d’aménagement de terrains et la hausse du Fonds vert de 500 millions d’euros pour la rénovation énergétique des écoles. Pour le FCTVA, cela parait d’autant plus nécessaire dans le contexte des Jeux Olympiques de 2024 pour lesquels nous avons beaucoup d’investissements des communes, des EPCI et des départements pour des équipements de plein air qui ne sont pas forcément dans le radar de la transition écologique. Ces équipements, importants pour le territoire, sont souvent très vertueux d’un point de vue environnemental. Nos arguments ont été entendus. Mais il faut rester prudent car ce soutien risque de s’arrêter dans l’avenir et la situation sera alors très compliquée compte tenu de notre autonomie financière en peau de chagrin.

Et concernant le Fonds vert ?

Malgré la hausse prévue sur la rénovation énergétique des écoles, nous constatons un grand décalage entre ce qui est mis sur la table et les chiffrages des travaux nécessaires qui sont considérables [NDLR : 40 milliards d’euros sur cinq ans selon une estimation du Sénat]. A ce sujet, j’ai une alerte de plusieurs associations départementales de maires me remontant des demandes de préfets pour inciter à la mise en place de dispositifs financiers par les EPCI. Là encore, il existe une tendance inquiétante de l’Etat à solliciter des communautés de communes hors de leur champ de leurs compétences.

Par ailleurs, concernant le fléchage du Fonds vert, nous défendons à l’AMF la liberté des collectivités et leur libre administration. Plutôt que le fléchage de ce fonds, occasionnant encore des dossiers complexes à remplir, nous militions pour une dotation unique (dotation d'équipement des territoires ruraux - DETR, dotation de soutien à l'investissement local - DSIL, Fonds vert…) à la main des préfets. Au-delà, nous sommes contre le fléchage des dotations d’investissement, préférant largement un fonctionnement basé sur la confiance et la réalité des besoins locaux.

Pourquoi êtes-vous inquiet sur les capacités d’investissement du bloc communal ?

Tout d’abord la péréquation ne fonctionne plus du tout et ne cesse de se rétrécir. En euros constants, les intercommunalités perdent beaucoup, bien plus que les communes. Nous militons pour une loi de programmation pour les collectivités qui soit pluriannuelle et pose les principes et les trajectoires. Cela nous donnerait de la visibilité et une perspective sur le long terme en évitant de devoir se battre chaque année. Le système fiscal actuel, notamment des dotations, apparaît à bout de souffle. Les mutualisations, les communes nouvelles et les intercommunalités grandissantes ont créé de grands chambardements sur les potentiels fiscaux des communes.

Nous craignons pour demain un rétrécissement de l’investissement local. Il faut quatre ans pour construire un équipement. La réforme fiscale de la TH [taxe d’habitation] et de la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises], et son manque de visibilité, risquent de freiner dans l’avenir l’investissement à cause des incertitudes sur l’évolution de notre fraction de TVA. D’autant que le climat actuel est assez anxiogène, notamment avec la crise immobilière. Nous disposions de plus de sécurité et de garanties avec la TH et la CVAE. Ne pas connaître les financements disponibles pour l’année suivante crée une perte de confiance et de mouvement.

La dotation « Communes nouvelles » n’est pas inscrite dans le projet de loi de finances comme l’avait promis le gouvernement. Comment réagissez-vous ?

Nous le regrettons beaucoup car il y a besoin de conforter le mouvement des communes nouvelles en leur offrant un cadre financier stable. Cette dotation avait pourtant été annoncée par le ministre Christophe Béchu lors des Assises des communes nouvelles organisées par l’AMF en juin dernier. Nous comptons sur l’aide des sénateurs pour l’introduire dans le texte.

Point positif, le gouvernement nous a promis la pérennisation du système de maintien sur le long terme et pas juste sur un an comme dans la précédente loi de finances. Ce système doit permettre qu’une commune nouvelle ne perde pas d’argent, par rapport aux communes fondatrices si elles s’étaient maintenues.

Enfin, sur les zones de revitalisation rurale (ZRR), le projet de loi de finances maintient à l’identique le dispositif existant qui doit s’éteindre le 31 décembre 2023. Il n’y aurait donc pas d’élargissement du zonage, comme nous l’avions demandé, à des communes rurales d’EPCI en zones urbaines à cause d’un dispositif ne reposant que sur l’échelle intercommunale. Là aussi nous comptons beaucoup sur le Sénat pour faire avancer les choses.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

Crédit photo : Arnaud Février pour l'AMF

Référence : BW41889
Date : 6 Oct 2023
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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