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Entretien avec Luc Carvounas, maire d’Alfortville et président de l’Unccas : « Le bloc communal doit gérer toute l’action sociale de proximité »

Entretien avec Luc Carvounas, maire d’Alfortville et président de l’Unccas : « Le bloc communal doit gérer toute l’action sociale de proximité »

L’Union nationale des CCAS et CIAS (Unccas) a tenu son 92ème congrès les 28 et 29 mars à Bourges. Pour son président, Luc Carvounas, maire d’Alfortville (Val-de-Marne) et co-président de la commission des affaires sociales de l’AMF, les priorités sont nombreuses entre la précarité alimentaire, le bien vieillir, le sans-abrisme ou l’attention particulière à apporter à l’outre-mer. Face aux crises actuelles, avec toujours plus de sollicitations auprès des CCAS, il insiste sur les moyens nécessaires et attend beaucoup du futur Pacte des solidarités que doit présenter le gouvernement. Dans la perspective d’une nouvelle loi de décentralisation, Luc Carvounas plaide pour confier toute l’action sociale de proximité au bloc local en renforçant le rôle du couple commune-intercommunalité. 

Face aux crises actuelles, quel est le rôle des CCAS envers les personnes les plus vulnérables ?

Nous voyons depuis plusieurs années de nouveaux publics (séniors, actifs, jeunes) pousser la porte de nos établissements. Je ne suis pas étonné que 18% des Français, et 26% en région parisienne, déclarent, dans notre baromètre de l’action sociale (1), avoir déjà bénéficié d’une aide de leur CCAS. Aujourd’hui, face aux différentes crises, les communes, avec des établissements comme les CCAS, font sens et contribuent à la cohésion sociale. Pour répondre à des demandes toujours plus nombreuses depuis 2020, avec la crise sanitaire, tous les CCAS ont dû augmenter leurs budgets et continuent de le faire.

Le baromètre traduit une forte attente de nos concitoyens pour les protéger et les accompagner, notamment avec la forte inflation sur les prix alimentaires et la crise énergétique. Il montre aussi que le bloc communal est l’échelon dans lequel ils placent leur confiance et leurs attentes. Il incarne leur besoin d’interlocuteur de proximité, capables d’agir sur leur quotidien.

Les moyens sont-ils au rendez-vous ?

Nous attendons beaucoup du Pacte des solidarités, qui doit remplacer la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. L’Unccas y a apporté sa contribution. Mais ce pacte suffira-t-il face à l’ampleur de la crise ? Je ne sais pas. J’attends la feuille de route du gouvernement. C’est d’une approche globale dont nous avons besoin. Il faudra de vrais moyens pour l’accès à l’alimentation pour tous, pour construire la société du bien-vieillir ou pour faire reculer la grande précarité. Les CCAS ne peuvent faire face seuls à l’urgence sociale.

C’est pour répondre à tous ces défis que l’Unccas, association transpartisane, développe un vrai lobbying auprès des ministères et du Parlement. Nous défendons ainsi un grand plan national pour une alimentation pour tous ou la préparation d’une société du bien vieillir avec une véritable loi sur le grand âge pour laquelle nous soutiendrons toute initiative parlementaire en sa faveur.

Faut-il une nouvelle étape de décentralisation en matière d’action sociale ?

Si une nouvelle réforme territoriale voit le jour, les CCAS et la question sociale devront en faire partie. Toute l’action sociale de proximité, opérationnelle, doit être gérée par le bloc communal, et cela en lui donnant les moyens. Le département en milieu rural a un rôle particulier alors qu’en milieu urbain, comme en Ile-de-France, il devrait laisser la place à des intercommunalités plus fortes. Il y a un besoin de différenciation entre les territoires ruraux et métropolitains, avec des organisations qui puissent mieux répondre aux spécificités locales. Cela a commencé à être fait avec certains statuts particuliers en outre-mer ou, plus récemment, avec la collectivité européenne d’Alsace.

Le département doit s’interroger comme le montre notre sondage sur sa très faible reconnaissance par les Français en matière d’action sociale, en avant dernière position, derrière la région. Demain, il pourrait être le guichet d’entrée de l’accès aux droits alors que la mise en œuvre opérationnelle des actions serait confiée au bloc communal. Dans une future loi de décentralisation, il faudrait donc que le champ des solidarités soit porté par l’intercommunalité ou les communes, voire les deux. Notre échelle est la bonne avec l’ABS [analyse des besoins sociaux] qui nous donne une analyse très fine du territoire et des publics que nous devons cibler, aider et accompagner.

Jugez-vous nécessaire de développer davantage l’intercommunalité sociale ?

Il existe encore peu de centres intercommunaux d’action sociale (CIAS), 170 parmi nos adhérents à côté de 4200 CCAS. En 2005, une convention a été passée avec la Caisse des dépôts, renouvelée récemment, pour soutenir ce mouvement et accompagner nos adhérents sur le fait intercommunal avec la création de CIAS. Il existe aussi beaucoup de politiques sociales intercommunales qui ne passent pas forcément par la création d’un CIAS. De plus, la nature des CIAS existants sont variables selon les cas avec certains gérant des équipements structurants, comme sur la petite enfance, alors que les CCAS se maintiennent sur l’action sociale de proximité.

L’intercommunalité apporte aussi l’intérêt de la mutualisation des moyens en évitant les doublons notamment en termes de personnels. Il faudra avoir ce débat et la liberté pour le bloc communal d’adapter ses mutualisations selon les réalités de chaque territoire. Par exemple, les CCAS dirigent aujourd’hui 60% des résidences autonomie et des Ehpad. Il serait intéressant de mettre tous ces établissements dans un réseau intercommunal. Une gestion à l’échelle du bassin de vie serait cohérente. Tout est envisageable. On peut aussi imaginer que les CCAS deviennent les antennes du CIAS. Dans le cadre d’une nouvelle loi de décentralisation, la notion de CIAS pourrait être prise en compte pour faciliter les regroupements. Il faut sortir de certains égoïsmes territoriaux en acceptant l’intérêt du fait intercommunal pour bien mener certaines politiques.

Vous proposez un travail commun avec les associations via un « G9 des solidarités ». En quoi consiste-t-il ?

Tout d’abord, je tiens à rappeler que l’Unccas est une association de maires, créée en 1926, soit la deuxième plus ancienne après l’AMF, et non pas une association de techniciens. Nous représentons 126 000 agents territoriaux et sept milliards d’euros de politiques publiques sociales. Malgré notre savoir-faire durant la crise sanitaire et les crises actuelles, je regrette que nous n’ayons pas été sollicités pour siéger au CNR [Conseil national de la refondation], ne participant qu’à des sous-groupes thématiques sur le bien-vieillir ou le logement.

En novembre dernier, nous avons lancé un appel aux autres associations d’élus locaux (2) pour travailler ensemble avec la création d’un « G9 des solidarités » afin de porter une voix commune sur les politiques sociales. Ensemble, nous serons plus forts pour apporter des réponses concrètes. Nous avons eu tout de suite un accord de David Lisnard, le président de l’AMF. Cette alliance des territoires se monte progressivement et permettra de mener des actions communes sur des questions précises comme la précarité alimentaire, le bien-vieillir ou le sans-abrisme.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

(1) Sondage IFOP, réalisé pour l’Unccas les 1er et 2 février derniers, auprès d’un échantillon représentatif de 1012 Français. Parmi les résultats, leurs priorités d’action sont la santé (87%), l’alimentation (74%), l’éducation (74%), l’énergie (72%), l’emploi/formation (65%) et la dépendance (44%). Par ailleurs, la commune est l’échelon « qui incarne le mieux le service public au quotidien » (48% des réponses) devant la région (23%) et le département (20%). 

(2) AMF, Départements de France, Régions de France, AMRF, APVF, Villes de France, France urbaine, Intercommunalités de France.

 

Crédit Photo Luc Carvounas ©Unccas OU ©Djamila Calin

 

 

Référence : BW41668
Date : 31 Mars 2023
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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