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Entretien avec Mohamed Gnabaly, vice-président de l’AMF : « France travail doit préserver le pouvoir d’agir du bloc communal »

Le nouveau service public de l’emploi, dénommé France travail (1), doit voir le jour dès le 1er janvier 2024. Il visera à mieux coordonner les acteurs et accompagner les personnes éloignées de l’emploi. Réaction sur cette réforme importante, qui touche au premier chef le bloc communal, de Mohamed Gnabaly, maire de L'Île-Saint-Denis (8700 habitants, Seine-Saint-Denis), vice-président de l’AMF et coprésident de son groupe de travail Emploi et insertion. S’il affirme un accord de principe sur la finalité et l’architecture de la réforme, il s’interroge sur son calendrier très rapide et les ressources mises en place. Autre point de vigilance : les modalités de gouvernance qui doivent laisser, selon lui, toute sa place « au pouvoir d’agir » du bloc communal. Adopté mi-juillet par le Sénat, le projet de loi « Plein emploi » est examiné par les députés du 25 septembre au 9 octobre. 

En procédure accélérée (une seule lecture dans chaque chambre), il devrait être adopté dès cet automne. Le texte prévoit la création de France Travail, à la fois opérateur aux compétences élargies et réseau réunissant l’ex Pôle emploi et tous les acteurs de l’emploi et de l’insertion, dont les collectivités. Il s’agit d’une transformation profonde de Pôle emploi avec une volonté de simplification et de création d’un outil technique centralisé. Un comité sera créé à chaque niveau territorial d’intervention. La question de la gouvernance continue d’inquiéter les collectivités et le bloc communal qui s’interrogent également sur leur place exacte dans le nouveau dispositif.

France travail vise à mieux coordonner les différents acteurs du service public de l’emploi et à simplifier son organisation. Approuvez-vous ces objectifs ?

Travaillant depuis plus de dix ans sur les questions d’emploi et d’insertion, j’ai toujours milité pour cette simplification. Nous sommes favorables à l’idée d’un écosystème mieux organisé – avec France travail réunissant les acteurs nationaux et locaux de l’emploi – et s’appuyant sur des outils centralisés. Mais dès le départ, lors de nos échanges avec le haut-commissaire à l’emploi, Thibaut Guilluy, l’AMF a souligné son inquiétude sur l’idée d’une fusion des Missions locales avec Pôle emploi. Même chose pour Cap emploi concernant les personnes en situation de handicap. Là-dessus, nous avons été rassurés. L’AMF a toujours été très claire sur l’importance des Missions locales et de leur spécificité.

Par ailleurs, nous prenons acte de la nouvelle organisation prévue avec France travail devenant à la fois l’opérateur et l’écosystème. Mais nous resterons vigilants sur la tentation d’une fusion entre les deux dans l’avenir. Nous n’en voulons pas car cela gommerait la dimension territoriale indispensable.

Comment jugez-vous le projet d’un outil technique centralisé ?

Dans la réforme de France travail, disposer d’un outil centralisé autour de la data constitue le vrai sujet de fond. Il s’agit d’une nécessité face à la multitude d’outils des différents acteurs qui fonctionnent mal voire pas entre eux. En pratique, la centralisation de toutes les données par l’opérateur France travail permettrait à l’ensemble des acteurs de l’emploi et de l’insertion, dont les collectivités, d’avoir accès à cette base de données et de pouvoir travailler plus facilement sur les publics en cohérence avec les politiques publiques locales existantes.

Une telle recentralisation technique serait donc intéressante mais j’ai des doutes sur la capacité à pouvoir le faire aussi rapidement. C’est un très gros chantier sachant qu’on parle d’outils de gestion et d’une culture d’organisation à mettre en place entre Pôle emploi, les Missions locales, les collectivités et les différents acteurs de l’insertion. Il faudra du temps pour harmoniser la diversité actuelle des modes d’organisation.

Que pensez-vous de la transformation profonde de Pôle emploi ?

Une grande part de la réforme repose en effet sur Pôle emploi lui-même qui va devoir accélérer ses processus et savoir muter. Cela sera compliqué. La vraie question est de savoir s’il disposera d’assez de ressources pour accompagner les équipes et se transformer de l’intérieur tout en développant à l’extérieur les écosystèmes territoriaux et régionaux. Il lui faudra réussir d’être à la fois un opérateur et l’animateur d’un réseau qui s’appelle France travail. Ce ne sont pas les mêmes métiers.

Les moyens vous semblent-ils suffisants ?

Aujourd’hui, ils ne sont pas à la hauteur de l’ambition d’accompagner tous les demandeurs d’emploi. Nous attendons le projet de loi de finances pour 2024 et le résultat des arbitrages. Le ministère de l’Emploi nous affirme qu’il se bat pour mettre sur la table plus de moyens. Quoi qu’il en soit, il demeure un décalage encore trop important entre les ressources et les objectifs.

Inscription généralisée, activités d’insertion… S’agit-il de mesures adaptées ?

Je trouve bien le principe d’une inscription généralisée de tous les demandeurs d’emploi. Si je reste bienveillant vis-à-vis de l’idée générale d’accompagner tout le monde vers l’emploi, je ne suis pas à l’aise avec l’idée d’instaurer une durée minimum de 15 heures hebdomadaires d’activité d’insertion pour les allocataires du RSA, avec des risques de dérives. Je suis maire mais dirige aussi une entreprise d’insertion. A ce titre, je fais la différence entre l’emploi et l’activité. Le travail est égal à de l’emploi + de l’activité. Certaines personnes ne sont pas prêtes à aller vers l’emploi mais peuvent avoir des activités via vers des dispositifs d’accompagnement vers l’emploi.

Comment va s’organiser la gouvernance de France travail ?

Actuellement, il existe plus d’une vingtaine d’instances de gouvernance. Cela donne une situation très complexe, notamment pour les élus. Il existe un accord général sur le diagnostic : présence de beaucoup trop d’acteurs, forte perte d’informations, manque d’efficacité avec certaines actions divergentes. Il faut donc plus de cohérence qui se traduise concrètement dans les différentes instances. Dans un souci de simplification, le projet de loi en prévoit quatre aux niveaux national, régional, départemental et local.

La représentation des collectivités et du bloc communal est-elle satisfaisante ?

Le sujet a été abordé à toutes les étapes de la concertation avec le ministère de l’Emploi et le Haut-commissaire. Il a été acté de disposer d’un niveau de gouvernance au niveau des bassins de vie, intégrant le bloc communal, prenant donc en compte les réalités territoriales. La présence de représentants des associations de maires et de collectivités dans chacune des instances permettra une cohérence générale. Chaque niveau ne traitera pas exactement des mêmes sujets, l’emploi et l’insertion revenant au niveau local du bassin de vie et du département, la formation et le développement économique au niveau de la région. Cette nouvelle organisation constitue une bonne chose mais à condition d’avoir un pouvoir d’agir du bloc communal.

Qu’entendez-vous par pouvoir d’agir ?

Une présence sur le terrain où le bloc communal a toute sa légitimité. Le lien entre le social, la solidarité et l’emploi existe déjà dans nos communes, en liaison avec les associations locales. Il faut prendre garde à la tentation de recentralisation par le biais financier. Je prends l’exemple des Missions locales avec un poids croissant de l’Etat et, en parallèle, la réduction de la place des collectivités. L’écart n’a jamais été aussi fort et cela signifie pour elles un moindre pouvoir d’agir. L’Etat veut être plus offensif sur le sujet alors qu’il y a un repli des collectivités dû à leurs contraintes budgétaires. Cette situation est inquiétante.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

 

(1) Lire IntercoActu du 16 mai 2023 sur le rapport de la mission de préfiguration de France Travail, remis par le haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy.

https://www.amf.asso.fr/documents-service-public-lemploi-ce-que-va-changer-france-travail/41706

Crédit photo : ©Ile-Saint-Denis

Référence : BW41872
Date : 22 Sep 2023
Auteur : Philippe Pottiée-Sperry pour l'AMF


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